La femme est-elle l'esclave des apparences ?

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Le souci que les femmes ont de l'opinion qu'on a d'elles leur ôte-t-il toute importance politique ?

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), dans le cinquième livre de l'Émile, son traité (sous forme de roman) sur l'éducation, se penche sur l'éducation des femmes et, dans un passage particulier, se demande quel est leur rôle en politique.

Cette question est abordée par un biais surprenant, puisque Rousseau commence par affirmer que la femme est faite pour plaire à l'homme. Déjà toutes petites, les femmes aiment la parure, se soucient d'être belles, elles habillent et coiffent leurs poupées. Devrait-on en conclure qu'ainsi élevées les femmes devraient vivre exclusivement occupées aux soins du ménage, confinées dans  la sphère privée ?

Rappelant que dans sa patrie d'origine (Genève), des cercles de femmes dictaient ce qu'il y avait lieu d'estimer ou d'admirer, Rousseau affirme que, si l'opinion est « le tombeau de la vertu parmi les hommes », elle est « son trône » parmi les femmes (p. 526 de l'édition indiquée ci-dessous). Comment comprendre cette position paradoxale ? Comment Rousseau déduit-il de l'éloignement des femmes à la vérité et de leur dépendance à l'opinion leur rôle incontournable en politique ?   

Dans le chapitre 12 du livre II du Contrat social, Rousseau affirme que la plus importante de toutes les lois est l'opinion publique. Aucune communauté politique, explique-t-il, ne peut survivre si les citoyens n'ont pas le sens du devoir, autrement dit s'il n'existe pas quelque sentiment qui les oblige intérieurement, qui les incline intimement à obéir aux lois, c'est-à-dire à faire leur devoir. Or, pour se soumettre à la loi, explique-t-il, il faut d'abord respecter les femmes, leurs jugements, leurs opinions : toute obligation (qui, étant libre, diffère d'une contrainte extérieure), qu'elle soit politique ou morale, s'enracine dans le respect des femmes.

Or, ce respect est lié à la pudeur, au vêtement, au voile : il y a dans la femme un retrait, un secret (ne serait-ce que parce que les organes génitaux féminins ne sont pas apparents) qui en fait moins une « étrange étrangeté » qu'une présence digne et inviolable forçant le respect et affirmant son inappropriabilité fondamentale.

À débattre

  • Jean-Jacques Rousseau vous semble-t-il misogyne ?
  • En lisant Rousseau, on a l'impression que la différence entre opinion et vérité consiste en ceci que la première est féminine et la seconde masculine ; est-ce vraiment ce qu'il écrit ?
  • À supposer que le devoir ait quelque chose de sensible, cela justifie-t-il une médiation de la morale ou de la politique par la « féminité » ?

Pour aller plus loin

  • Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l'éducation, introduction et notes de A. Charrak, GF-Flammarion, 2009, livre V (en particulier p. 525-526)
  • Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, livre IV, chap. 8
  • Platon, République, livre 5 : la femme est-elle un guerrier comme les autres ? On se demandera pourquoi la pudeur féminine est la « grosse vague » qui manque de détruire le magnifique modèle de la République.

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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